Mardi 20 janvier 2015, deux heures dix du matin, Lambersart, ma chambre. Au fond, il n'y a pas de mystère : je vais bien, au point de susciter en moi des réminiscences de manie, malgré le froid glacial dans lequel ma chambre est plongé, malgré la fatigue, la lassitude du tabac, la mauvaise musique, je vais bien, dis-je, pour la simple raison que je vais moins mal. Je m'explique, et rappelle ici cette journée d'août 2014, dans les Alpes, en compagnie de V. et T. : journée maniaque, mais pourquoi ? Tout simplement parce que, pour une raison dont j'ignore certes et l'origine, et la raison de son peu de durée, parce que sur le fond d'une dépression molle, cela va un peu mieux. Ce n'est qu'un monticule, et non l'une de ses montagnes dont j'étais alors entouré, mais à côté du gouffre, c'est déjà bien haut.
D'autre part, il me semblait comprendre enfin pourquoi je brassais tant de vent lorsque j'allais bien, et avais paradoxalement parfois besoin d'aller un peu moins bien, ou de m'être mieux habitué à mon trop-bien-être, pour entreprendre quelque chose. C'est que le simple motif de mon humeur me suffit alors à être heureux. A quoi bon lire, écrire, faire ? Il suffit d'être. Et certes pas, ou peu, de paraître.
Enfin, et pour faire simple, l'insomnie consécutive à ce genre d'état se passe de commentaire : dormir, c'est accepter une césure après laquelle le malaise peut revenir. Afin de faire durer autant que possible mon état, je n'avais d'autre choix que de veiller.
Le reste sera bavardage, ébauche toujours reprise des mêmes commentaires sur ce qui m'arrive alors, que j'ai osé comparer à une résurrection à une occasion : le sentiment de reprendre possession de mon être. La métaphore du Magicien d'Oz, toujours, que je veux aujourd'hui complète : le cœur, le cerveau et le courage enfin retrouvés (plus complète que jadis, car j'envisage seulement à présent de prendre en compte le courage, qui me semble à présent une troisième dimension très évidente).
La conviction, pourtant, plus claire cette fois-ci, qu'il me faut faire quelque chose de ce renouveau. La Vie de l'esprit, bien sûr ; mon séminaire pour lequel je dois lire ; peut-être un mauvais petit poème de mon cru…
Mais tout d'abord, place à Bach, un peu au hasard, histoire de mieux peupler ce début d'insomnie, bien qu'en parfait philistin.
« La claire conscience de la préciosité du temps », etiam sic.
Deux heures trente-et-une du matin, sans interruption, même lieu. Le temps me manque alors. Divaguons : il me faudrait pouvoir mettre en réserve ces longues heures passées dans la dépression, incapable de rien, et les utiliser en ces instants que, j'ai peur de le dire, j'ai envie de qualifier de grâce.
Je suis en tout cas plus que jamais convaincu qu'il ne peut y avoir de montagne sans vallée, de sommets sans contrebas.
Alors, que faire ? Eh bien, rien d'autre que garder, autant que faire se peut, le souvenir de cette impulsion. Finir cette petite page d'un journal que je ne tiens jamais. Ne pas oublier. Ne pas oublier. Ne pas oublier les possibles. Ne pas oublier cette modalité, la possibilité. Résister aux sophismes de la dépression, à la conviction de ne rien valoir, à celle que tout est irrémédiablement perdu, trop tard, mal venu. Consigner dans quelques mots, que je veux qualifier de maladroits pour capter votre bienveillance, alors même que je me réjouis de leur retour, de les voir briser le silence dans lequel m'enfermait la tristesse. Et qu'importe après tout, qu'ils soient mauvais, ces mots, mes mots en « x », banals, mille fois usités, et mieux qu'ici : ce que je veux dire, bien que je le porte à votre connaissance, et c'était depuis le début mon attention, c'est qu'il me reste tout à préparer, et que je ne dois plus jamais l'oublier. Deux heures quarante-et-une du matin. [Relecture] Deux heures quarante-quatre du matin.
D'autre part, il me semblait comprendre enfin pourquoi je brassais tant de vent lorsque j'allais bien, et avais paradoxalement parfois besoin d'aller un peu moins bien, ou de m'être mieux habitué à mon trop-bien-être, pour entreprendre quelque chose. C'est que le simple motif de mon humeur me suffit alors à être heureux. A quoi bon lire, écrire, faire ? Il suffit d'être. Et certes pas, ou peu, de paraître.
Enfin, et pour faire simple, l'insomnie consécutive à ce genre d'état se passe de commentaire : dormir, c'est accepter une césure après laquelle le malaise peut revenir. Afin de faire durer autant que possible mon état, je n'avais d'autre choix que de veiller.
Le reste sera bavardage, ébauche toujours reprise des mêmes commentaires sur ce qui m'arrive alors, que j'ai osé comparer à une résurrection à une occasion : le sentiment de reprendre possession de mon être. La métaphore du Magicien d'Oz, toujours, que je veux aujourd'hui complète : le cœur, le cerveau et le courage enfin retrouvés (plus complète que jadis, car j'envisage seulement à présent de prendre en compte le courage, qui me semble à présent une troisième dimension très évidente).
La conviction, pourtant, plus claire cette fois-ci, qu'il me faut faire quelque chose de ce renouveau. La Vie de l'esprit, bien sûr ; mon séminaire pour lequel je dois lire ; peut-être un mauvais petit poème de mon cru…
Mais tout d'abord, place à Bach, un peu au hasard, histoire de mieux peupler ce début d'insomnie, bien qu'en parfait philistin.
« La claire conscience de la préciosité du temps », etiam sic.
Deux heures trente-et-une du matin, sans interruption, même lieu. Le temps me manque alors. Divaguons : il me faudrait pouvoir mettre en réserve ces longues heures passées dans la dépression, incapable de rien, et les utiliser en ces instants que, j'ai peur de le dire, j'ai envie de qualifier de grâce.
Je suis en tout cas plus que jamais convaincu qu'il ne peut y avoir de montagne sans vallée, de sommets sans contrebas.
Alors, que faire ? Eh bien, rien d'autre que garder, autant que faire se peut, le souvenir de cette impulsion. Finir cette petite page d'un journal que je ne tiens jamais. Ne pas oublier. Ne pas oublier. Ne pas oublier les possibles. Ne pas oublier cette modalité, la possibilité. Résister aux sophismes de la dépression, à la conviction de ne rien valoir, à celle que tout est irrémédiablement perdu, trop tard, mal venu. Consigner dans quelques mots, que je veux qualifier de maladroits pour capter votre bienveillance, alors même que je me réjouis de leur retour, de les voir briser le silence dans lequel m'enfermait la tristesse. Et qu'importe après tout, qu'ils soient mauvais, ces mots, mes mots en « x », banals, mille fois usités, et mieux qu'ici : ce que je veux dire, bien que je le porte à votre connaissance, et c'était depuis le début mon attention, c'est qu'il me reste tout à préparer, et que je ne dois plus jamais l'oublier. Deux heures quarante-et-une du matin. [Relecture] Deux heures quarante-quatre du matin.
DEBUT