mercredi 30 avril 2014

Hélène d'Argenteuil

Give me what thou canst
And let me picture the rest.

Hélène absente, hélas, et sa haine est tenace,
Hélène aimant, Armand, je m'y casse les dents,
Hélène dansant, salsa, je ne vis que pour ça,
Hélène au loin, c'est bien, et je ne suis plus rien.

lundi 28 avril 2014

Paulette Parmentier, par Pierre Marie Déniel

    Je préfèrerais dire que j’ai fait un simple détour ; en réalité, il se pourrait bien que je me sois rendu dans ce coin-là exprès. Je me suis engagé péniblement sur le chemin, ma voiture s’embourbant presque dans la neige. J’avais mal au crâne à cause du whisky de la veille, mais cela n’était plus tellement important. Dès qu’il fut possible d’apercevoir la maison, je me suis garé sur le bas-côté. J’ai écrasé mon mégot et me suis regardé dans le rétroviseur, passant la main dans mes cheveux, puis j’ai remis mon chapeau de feutre. J’ai claqué la portière et j’ai rallumé une autre cigarette. La neige rentrait dans mes chaussures et trempait mon pantalon bien au-dessus des chevilles. J’ai marché difficilement jusqu’à la maison en espérant que l’adresse que j’avais trouvé était la bonne. Les fêtes de noël approchaient, elle devait donc être là pour passer quelques jours en famille. J’ai remonté la petite allée d’ardoises, manquant de glisser à cause de la neige fondue et de ma démarche rendue mal assurée par l’appréhension. J’ai sonné. Plus jeune, j’avais écrit des histoires. Des histoires s’inspirant de ma vie, enfin, surtout des prolongements imaginaires de cette vie. Des prolongements qui revisitaient toujours l’avenir d’un œil romanesque. J’ai sonné de nouveau. Il était bientôt seize heures. La vie réelle avait fait peu battre mon cœur ces dernières années, aussi, je tentais de vivre les situations que j’avais fantasmé par écrit. Cette visite, je l’avais tant imaginé, et plutôt joliment décrite dans un petit récit, et voilà que poussé par la lassitude et la sécheresse de mon quotidien, je tentais de la rendre réelle. Personne n’ouvrirait, et tout cela ne resterait qu’une simple histoire sans grand intérêt.
    J’allais m’en rallumer une quand j’entendis des pas dans le vestibule. Une femme de soixante ans peut-être poussa la grosse porte, et me dit un bonjour qui ressemblait à une question.
    « Je suis bien chez les Parmentier ? 
    – Oui… vous désirez ? » me demanda-t-elle gentiment. Je devais inspirer peu de méfiance, malgré mon chapeau, mon grand manteau noir, et mon visage triste et mal rasé.
    « Je passais dans les environs. Par hasard. J’aurais voulu… si elle est là, si elle habite toujours ici… saluer Paulette. 
    – Vous avez bien de la chance, elle est là pour quelques jours. Vous êtes un ami ? Un ancien camarade de classe ? 
    – Vous lui direz que je suis Pierre Marie Déniel et que je l’ai bien connu, autrefois, il y a quelques années. Elle se rappellera… sûrement… peut-être.... »
    J’attendais encore, le cœur battant.
    Elle eu l’air surprise, évidemment.
    « Pierre ?! 
    – Paulette ! »
    Elle resta, quelques instants, figée sur le perron. Puis me demanda comment j’allais.
    « Ca va… on fait aller… »
    Son visage avait peu changé, les traits avaient un peu durci, je crois, et son regard était plus sec, peut-être simplement parce qu’elle ne me regardait plus comme j’avais l’habitude qu’elle me regarde à l’époque où l’on se connaissait.
    Elle m’a parlé de choses et d’autres, assez banales, et j’ai répondu des banalités aussi. La vie avait suivi son cours, et nous devisions là-dessus, pour la convenance, le véritable enjeu, du moins pour moi, était ailleurs évidemment. C’est étrange comme les moments que l’on croit émouvant sont, en apparence, si triviaux. On parle d’éventuels diplômes obtenus, ou d’emploi occupé, sans dire, par pudeur peut-être, ou parce que c’est bien ce qu’il y a de plus complexe à exprimer avec justesse, comment, tout ce temps-là, notre cœur a battu, pour qui, et pour quoi.
    Bien qu’en étant devenue une, par la force des choses, cela ne m’amusait pas de jouer les grandes personnes, aussi j’essayais de faire dévier la conversation.
    J’ai dit : « Ca me fait bizarre de te revoir… ça fait combien de temps ? Trois ans… presque trois ans… 
    – Oui, c’est ça, trois ans… oui, c’est curieux, mais tout à bien changé. On a évolué, chacun de notre côté, on a avancé… »
    Je n’avais pas vraiment évolué.
    J’ai répondu : « Oui. Avec le temps, les choses s’arrangent… on ne les considère plus de la même façon… avec le temps… on se dit que c‘est mieux, mieux comme ça… »
    Je l’ai regardé, encore. Et j’ai senti une boule dans mes tripes, mon trouble revenait, le même qu’au temps où l’on se fréquentait. J’aurais voulu dire que, oui, j’avais voyagé, que j’avais cru oublier, mais, qu’au fond, je n’avais pas cessé de penser à elle, malgré les mers qui m‘avaient tenu loin de mes habitudes, malgré les saisons qui passent et les années qui s’enfuient. Mais je n’ai pas parlé. Cela ne signifiait plus rien à présent. La personne que j’avais aimé n’existait plus, j’avais devant moi un visage qui me rappelait les douleurs du passé, des douleurs dont je n’avais pas guéri. Le chagrin était resté, la rancœur aussi peut-être, mais l’amour avait disparu. J’avais aimé un souvenir. Il neigeait, la même neige qu’il y a trois hivers, et elle avait moins changé que moi. L’alcool et les errances diverses m’avaient fait vieillir prématurément. Elle avait peu changé, mais ce face à face étrange ne mettait en évidence que ce que le passage du temps avait détruit de notre relation. Cette relation n’était plus évidemment, mais, surtout, la peine, le manque et l’absence n’avaient, eux non plus, plus lieu d’exister. Il n’y avait plus rien, juste une douleur dans l’estomac, anachronique, sans autre fondement que le souvenir que son visage et la neige faisaient ressurgir.
    Elle voulait prendre congé de moi, car on n’avait surement plus rien à dire. On peut rarement parler pour ces choses-là, on ne peut qu’éprouver des sensations qu’on ne comprend pas. Je ne pouvait pas parler, je ne pouvais plus meubler une conversation dont je me fichais. Je n’ai pu m’empêcher de conclure : « Ce qui nous empêchait de dormir la nuit, de manger, ce qui nous tourmentait ou nous rendait fou de joie autrefois, n’a plus d’importance aujourd’hui. On s’en fiche, on en rit, ou pire, on ne s’en souvient même plus, et c’est ça qui est terrible. » Elle m’a dit de ne pas prendre froid, par ce temps.
    « Bien. J’y vais. J’ai a faire. »
    Je n’avais rien à faire, je ne faisais rien.
    J’ai redescendu l’allée en ardoise, tout aussi maladroitement. Je n’avais pas la force d’allumer une autre cigarette. Paulette Parmentier… pfff… quel nom stupide… elle aurait pu porter un nom normal, dans le même genre, mais moins ridicule. Pauline au lieu de Paulette, par exemple… ça aurait eu un peu plus d’allure… Le jour déclinait déjà, et la neige s’était remise à tomber salement. Je me suis assis au volant de ma voiture, épuisé. J’avais voulu me divertir, tromper l’ennui, et maintenant, une larme coulait sur ma joue. Ça devait être le froid qui me piquait les yeux. Oui, ça devait être ça. Mes yeux pleuraient à chaque fois que la neige revenait.

dimanche 27 avril 2014

Hegel selon Cioran

    « L'homme, à en coire Hegel, ne sera tout-à-fait libre « qu'en s'entourant d'un monde entièrement créé par lui-même. »
    Mais c'est précisément ce qu'il a fait, et il n'a jamais été aussi enchaîné, aussi esclave que maintenant. » Cioran

    Ce genre de sentences, je parle de l'aphorisme de Cioran, sont de celles qui vont se bonifiant avec l'âge. L'homme ne s'est jamais autant entouré d'un monde entièrement créé par lui-même. Internet constitue même une sorte de second monde, entièrement conçu par l'homme, de second life, où s'épanchent toutes ses grandeurs et ses misères. Les œuvres complètes de Platon y cotoient la pornographie la plus vile, et Proust les réclames pour du savon...
    On peut donc bien y faire de précieuses découvertes, on peut aussi y perdre son âme.

mardi 22 avril 2014

Hommage à Roja Chamankar

Visage intelligent, red, rouge, röt, roja,
Laisse-moi te chanter, lo que me cantara
Un derviche trouvé, in einem Mass Helles,
Et laisse-moi bâtir, a dream just made for us !

lundi 21 avril 2014

De la spoilation

    C'est curieux tout de même, je sais bien qu'il n'y a pas de mot en français pour cela, mais tout se passe comme si le concept même de spoiler n'existait pas autrefois. A moins que si ?
    « ... et donc à la fin, quand Proust retrouve le temps en cognant sur son pavé...
    - Putain, t'abuses, j'en suis qu'à La Prisonnière ! Déjà que tu m'avais dit qu'Hegel atteignait le savoir absolu... »
  

dimanche 20 avril 2014

Sur l'air de la bohème

Je vous parle d'un temps, que les moins de mille ans, ne peuvent pas connaître,
L'Eglise en ce temps là...menait vers l'au-delà, jusqu'aux frontières de l'être
Et si l'humble pays, qui lui servait de nid, ne payait pas de mine,
On y trouvait l'salut, jusque dans la famine, et sans avoir rien lu.

Christianisme, Christianisme,
Ca voulait dire : tu es de Dieu
Christianisme, Christianisme
Nous ne péchions qu'un jour sur deux.

Dans les pays voisins, ils étaient quelques uns, à vivre dans l'erreur
Et bien que miséreux... avec le ventre creux, nous dissipions ces leurres
Nous ceignions nos épées, et apportions la paix, aux peuples infidèles
Juifs et protestants, païens, mahométans, s'en retournaient au ciel !

Christianisme, Christianisme,
Ca voulait dire : Christ est béni
Christianisme, Christianisme,
Et nous mangions du pain rassis

Parfois il arrivait, qu'un savant aviné, fasse tourner le monde
Fignolant le dessein... d'une vie sans lendemain, et sans Dieu à la ronde
Et quand des hérétiques, se trompaient de viatique, au sein de nos villages
Vite nous appelions, la sainte Inquisition, et nous tournions la page...

Christianisme, Christianisme
Ca voulait dire : on a mille ans
Christianisme, Christianisme
Et nous vivions, de l'air d'antan

Quand au hasard des livres, je suis à nouveau ivre, et que renaît la flamme
Je ne reconnais plus... ni l'église, ni Jésus, qui ont sauvé mon âme
Au sein du presbytère, je cherche Pater Noster, dont plus rien ne subsiste
Dans leur nouveau décor, les rites semblent tristes, les morts prêchent les morts.

Christianisme, Christianisme
On était vieux, on était fous
Christianisme, Christianisme
Ca ne veut plus rien dire du tout.

La caste des semi-ratés

    Ils ne savent pas toujours ce qu'ils valent, mais savent au moins qu'ils auraient pu valoir bien plus. Ils auraient pu être poète, penseur, écrivain ; ils ne sont le plus souvent qu'étudiants avant que de remplir l'une ou l'autre des fonctions que la société voudra bien leur attribuer. La vocation leur a manqué, le travail les a découragé. Ils ne sont pas grand-chose, mais se reconnaissent entre eux, au premier coup d'oeil, par des signes, infimes, que les hommes accomplis ne peuvent discerner, et que les ratés authentiques ne peuvent percevoir. Ils ont compris trop tard que tout se jouait très tôt, qu'à quinze ans on est déjà Baudelaire, ou déjà rien. Ils redoutent la lecture des biographies, qui les renseignent sur la précocité du génie, et se rêvent un destin de Michon, de grand écrivain sur le tard, scrutent les rares passerelles qui permettent de franchir l'abîme séparant la plèbe de l'aristocratie.
    Ils ne leur restent plus guère que la procréation pour réparer l'affront que leur fit le destin, qu'à tout miser sur leur semence, porteuse, comme ils ne s'avouent pas le penser, de leurs prédispositions dont ils firent un immense gâchis ; croyant, aussi, que la vocation peut s'enseigner. Ils feront parfois de mauvais pères, dégoutant par leurs efforts leur progéniture des aspirations les plus nobles. Ils réussiront parfois, mais toujours malgré eux, léguant alors en fraude leur patronyme à la postérité.

samedi 19 avril 2014

Hélène de Troie

J'aimerais bien, Hélène, infliger mes assauts
Rouer de coups ton cœur et t'investir ailleurs
Te faire ma prisonnière et faire jaillir tes pleurs
M'abreuver à ta source enlevée au lasso

Me faire ton esclave et devenir ton maître
Te tendre mon talon et y guider tes dents
Ma tête fracasser contre tes seins d'argent
Te promettre le monde à la manière d'un traître

Mes vers : d'un grand cheval, l'armature de bois
Mon filtre y est scellé : approche-toi et bois
Je ne serai plus seul à être toujours ivre

L'amour t'emportera, te conduira à moi
Et passeront les jours, et passeront les mois
Et nous pourrons, enfin, et tout simplement vivre.

vendredi 18 avril 2014

En rythme

    Marche, études, sommeil. Se lever, se laver, s'habiller. Sortir, transiter, entrer. La vie est faite de ces triviales trinités – qui n'en sont que pour le plaisir euphonique du ternaire. En binaire, en quaternaire, peu importe ; ce qui compte c'est le rythme.
    Une vie sans rythme a vite fait de s'affaisser, de se vautrer dans l'absence de sens. Le néant ni le chaos ou la mort n'ont de rythme : c'est la vie, l'être et l'ordre qui l'imposent à la matière. L'écriture vient de même briser le silence en éclats rythmés, le poème le plus visiblement. La dépression est comme une recherche désespérée et insensée d'échapper à la contrainte du rythme, les agendas n'y ont plus cours, les montres s'arrêtent, le jour et la nuit n'ont plus de pertinence propre.
    Je pense de plus en plus que l'homme ne peut être heureux qu'en rythme, ressort profond à mon avis du succès des rengaines sur l'esprit humain. Ne parvenant à choisir leur rythme, à se l'imposer, beaucoup en sont réduits à considérer que le travail, loin d'être un fléau, est la condition nécessaire de leur félicité quand bien même ils ne seraient pas contraints de s'y vouer. Morale d'esclave : l'aristocrate est celui qui n'admet pas qu'autrui décide pour lui de l'emploi de son temps : il le sait trop précieux pour cela.
    Bien que me rêvant aristocrate, je me résignais à aliéner une partie de mon temps en travail rémunéré, ne disposant pas de toute façon des rentes qui m'auraient permises de m'en affranchir matériellement, et sachant bien que chaque fois que le temps m'avait été donné je l'avais gaspillé en vains divertissements.
    Je ne saurais dire combien de temps j'ai perdu devant mon ordinateur à m'abrutir à grands coups de séries télévisées. Trop, c'est tout ce dont je suis certain. Un calcul très précis, mais basé sur des données lacunaires, m'avait donné, par un hasard où je vis un signe, 666 heures. Le nombre a peut-être doublé depuis, je ne sais pas, je préfère ne pas savoir. Je ne vais pas chercher à vous convaincre que j'aurais été un type formidable si j'avais su bien employer ce temps, d'une manière ou d'une autre. Peu importe, c'est trop tard, et je suis qui je suis. J'aimerais en revanche y voir le phénomène de l'arythmie la plus pure à laquelle j'ai pu accéder. Peu importe que les séries soient divisés en saisons, les saisons en épisodes : cela ne vaut que quand on les regarde au rythme de leur diffusion. Quand on les regarde d'un coup, enchaînant épisodes après épisodes, tout se fond en un flou indéterminé où tout se confond. Dans cette non-vie, seuls rappellent que l'on n'est pas mort les rares événements imprévus, les obligations qui vous tirent un moment d'un tel marasme. Mais le rythme est perdu, et l'on sent avec certitude qu'il ne reviendra plus jamais. Pourtant, il peut revenir.
    Dans mon cas, il revient par surprise, même si c'est souvent à la faveur de l'automne naissant, pour une raison sans doute aussi triviale que le début de l'année scolaire, recommencement auquel je suis, encore aujourd'hui, assujetti. La mélodie de la vraie vie peut alors reprendre.
    Si elle prend parfois chez moi la dimension assourdissante et exaspérante de rythmiques technoïdes ininterrompues, il arrive que les notes et les silences alternent plus harmonieusement. Je garde alors ce rythme bienheureux aussi longtemps que je le peux, redoutant le moment où le silence viendra à nouveau tout recouvrir. Aujourd'hui je ne suis plus certain qu'il reviendra, ou alors il me semble que je le chasserai, comme un importun auquel on a enfin trouvé le courage de dire le fond de sa pensée.