dimanche 28 juin 2015

Le plateau des philosophes


    « Il existe une critique de la télévision qui voudrait nous faire croire qu'une bonne télévision est possible »
       Muray (de mémoire)

    Le regretté Philippe Muray mettait un point d'honneur à ne jamais paraître à la télévision. C'est l'un des rares « intellectuels » de son temps à ne pas être passé sur le funeste, et divertissant, plateau d'Ardisson. Je ne m'amuserai pas à décliner ici la liste de ceux qui y parlèrent, certains méritants, d'autres qui en furent les victimes (via le terrible montage) cherchant par ce pacte avec le Maître à ce qu'un peu de lumière rejaillisse sur leur pensée. Luc Ferry en est un exemple éclatant, puisqu'il est cité comme exemple par Ardisson pour dire que son émission laissait une place à la philosophie...
    Que peut donc nous apporter la présence de la philosophie, et même de ce qui relève de la vie de l'esprit en général, à la télévision ? Platon himself ne nous a-t-il pas, il y a quelques milliers d'années, avertis du danger qu'il comprenait par sa prophétique allégorie de la caverne ? Ne sommes-nous pas nous-même prisonniers devant notre écran, qu'il soit de télévision ou d'ordinateur, attendant que quelqu'un nous conduise en pleine lumière ?
    Eh bien, la réponse doit être mitigée. Mettons un individu qui, après avoir vu dans son téléviseur tel penseur (je ne cite volontairement aucun nom) se précipite dans la librairie la plus proche pour acquérir son livre dont il n'aurait, sans l'émission, pas entendu parler : on pourrait dire que la télévision leur a rendu, à l'auteur et au lecteur, un fier service. Hélas, il est à craindre que pour la plupart des téléspectateurs, la connaissance de l'oeuvre évoquée ne se limite au peu qu'ils auront vu et entendu assis confortablement sur leur canapé.
    Il faudrait, en somme, que toutes les émissions dites « culturelles » aposent un bandeau à l'écran précisant « Vous feriez mieux de lire, d'aller vous promener, ou de faire l'amour ». Mais qui suivrait ce précieux conseil ?
    Alors, faut-il, lorsqu'on est un intellectuel, refuser ou accepter les invitations qui sont proposées ? Une hypothèse intéressante serait d'y paraître en ennemi. Certains l'ont tenté, mais alors ils sont réduits au rôle d' « idiot utile », car la télévision n'aime rien tant que les fameux « clashs »...
    Muray, lui, acceptait les invitations à la radio. Cioran ne voulait pas paraître à la télévision pour éviter le risque, qui devait lui sembler terrible, qu'on le reconnaisse dans la rue.  La radio préserve de cet inconvénient – ou préservait, car aujourd'hui les émissions de radio sont fimées et diffusées comme de vulgaires interviews télévisuelles sur internet... Et de toute façon, il suffit de taper le nom de quiconque d'un peu connu sur internet pour en avoir instantanément l'image.
    Je rêve d'une station de radio à l'ancienne, où l'on ne se soumettrait pas à la dictature typiquement contemporaine de l'image. Mais qui serait, aujourd'hui, prêt à se lancer dans l'entreprise ? Et qui l'écouterait ?

jeudi 25 juin 2015

Le duel qui aura lieu

 A l'intention de Werner von Dequeit
Monsieur,

    Cette fois, vous dépassez les bornes ! Non content d'avoir un succès fou avec les femmes, non content de décliner mon invitation à Amsterdam, non content de vous apprêter à gagner plus d'argent que moi, voilà que vous osez vous moquer de ma production littéraire. La prochaine fois que nous nous verrons, il serait bon que vous me prêtiez un gant (un seul suffira).

    Votre outrecuidance, donc, me contraint à réagir. Je vous propose un duel, renseignez-vous, ce n'est pas la première fois que je le fais (ou plutôt, que je rédige une telle lettre). Mais depuis j'ai grandi, et mûri, et la boxe anglaise ne me suffira pas. Afin de vous vitrifier comme vous le méritez, je préconise un duel au bazooka. Je me les procurerai, nous n'aurons plus qu'à procéder à un tirage au sort des deux armes pour que vous ne m'accusiez pas de tricherie.

    Je ne m'abaisserai pas à répondre à vos remarques infondées. Cela me ferait rire, si ce n'était pas d'un esprit si faux. Sachez, Monsieur, que les esprits faux ne sont jamais ni poètes, ni écrivains, et que vous croupirez donc logiquement dans une médiocrité crasse pour le restant de votre existence.

    Mes témoins seront Yves Bonnefoy et Pierre Michon. Vous pouvez choisir les vôtres (Nabilla et Cyril Hanouna, par exemple, car il est bon que les témoins reflètent en quelque façon la valeur de celui qui les produit).

    Quant au lieu, les bords de l'étang que surplombe le château de Sercy me paraissent bien venus : ce sont mes ancêtres, Monsieur, que vous avez insultés avec votre missive, et c'est à l'ombre de leur prestige que je laverai mon honneur.

    A vous,
    Jérémie Sercy

mercredi 24 juin 2015

A l'ombre de la bêtise (Extrait du message d'un ami qui me connaît bien)

En super bonus, Werner von Dequeit te présente son blog :

  "A L'OMBRE DE LA BÊTISE"  

   Articles, dans l'ordre de parution :

- "pourquoi je suis moins intelligent que le reste des hommes" (100 vues)

- "Batman et Bathmos : comics strates" (93 vues)

- "invitation officielle à dîner pour la blogueuse sofia_licorne_44 qui a laissé un commentaire sur le premier article"

- "Top 2 des articles les plus lus du blog"

- "explications quand au fait que je traite gravement de sujets légers" (17 vues)

- "réponse à celui ayant critiqué mon blog et n'ayant rien compris à sa philosophie générale" (6 vues)

- "Roger-Arnould Rivière déconstruit" (100 267 vues)

- "les trolls, le degré moins un de la bathomologie ?" (3 vues)

- "à celui qui me harcèle anonymement" (16 vues)

- "à l'ombre de la bêtise : progression de 13.5% des vues en un mois !" (1 vue)

- "invitation à faire tomber les masques" (65 vues)

- "pourquoi je suis le maître de l'intelligence mais que j'ose pas le dire" (7 vues)

- "AHAHAHAHAH !" (666 vues)

- "réponse à ceux qui ne comprennent pas le troisième degré" (41 vues)

- "réponse à ceux qui s'obstinent à ne rien comprendre" (1 vue)

- "réponse à ceux qui ne méritent pas qu'on parle d'eux" (2 vues)

- "pourquoi j'interdis désormais tous les commentaires" (7 vues)

- "poème : je suis tombé dans l'esprit de l'escalier" (677 013 vues)

- "amis lecteurs, les commentaires sont ouverts de nouveau !" (2 vues)   

- "les commentaires blessants : comment réagir ?" (2 vues)

lundi 22 juin 2015

Le cinéphile aveugle

Un conte de noël, Desplechin

    Un conte de noël fait partie de ces films que la plupart des gens s'accorderaient à trouver « chiant », voire « emmerdant » : c'est long, ça discute, ça se bagarre peu, et c'est à peine si on voit un bout de sein. Vous voilà prévenus. C'est aussi mon film préféré.
    Le film s'ouvre par une séquence d'animation : Joseph, le deuxième enfant d'Abel et de Junon, est mort à l'âge de six ans, faute d'avoir pu recevoir une greffe de son frère Henri, conçu dans ce but. Le « bébé-médicament » avant l'heure, joué par Amalric, ne sera jamais aimé par sa mère, et deviendra par la suite le mouton noir de la famille après que sa sœur l'ait banni pour une raison qui restera obscure jusqu'à la fin. Abel et Junon, Athènes et Jérusalem enfin réconciliés, et même mariés, mais dont les enfants terribles porteront les stigmates de cette union contre-nature, conçoivent ensuite Ivan, le quatrième et dernier de la famille. L'action, comme nous l'indique le sous-titre du film, se passe à Roubaix. Voilà pour le décor.
    L'histoire, à présent, que raconte-t-elle ? Un soir de noël, tout simplement, avant, pendant et après, sur fond de la maladie de Junon, qui doit recevoir une greffe de moelle osseuse pour tenter de vivre quelques années supplémentaires, et de la fragilité psychologique de Paul, le petit fils, tout frais sorti de l'hôpital psychiatrique, et sur la demande duquel Henri, après avoir purgé cinq années de bannissement, est invité à fêter noël avec ses parents, frères, sœurs, grand-mère et neveux.
    Mais alors, que se passe-t-il ? Rien, tout. Les relations entre les membres de cette famille sont explorés avec une finesse psychologique que permet les deux heures vingt-cinq du film : l'absence d'amour de Junon pour son fils Henri ; la haine d'Elisabeth, l'aînée, pour le même ; l'amour déchirant du cousin Simon pour la fille qu'il a « donné » à Ivan lors d'une soirée ; l'innocence naïve de la grand-mère qui vent la mêche à Sylvie, la fille en question ; la bienveillance d'Abel pour tous ; la sensibilité du jeune Paul ; etc.
    « Oui, bon, d'accord, mais quels sont les thèmes ? » La maladie, on l'aura compris, mais aussi, en filigranne, la bourgeoisie, avec ses grandeurs et ses misères. La question du don est centrale également, elle revient comme un thème insistant à plusieurs reprises – à Noël, justement. On nous y lit un extrait de la Généalogie de la morale, on y perçoit l'ombre de Pascal .

mercredi 17 juin 2015

Le Duel qui n'a pas eu lieu

 A dix-huit ans, je tombais amoureux d'une jeune fille, avec qui je formais un couple pendant deux ans et demi, avant qu'elle ne me quitte pour un autre. Dans mes vieux papiers, j'ai retrouvé ce brouillon de message datant de mes vingt-et-un ans, que je comptais envoyer à mon rival, avant de me dégonfler, et que j'ai eu envie de recopier ici... Les maladresses, les références ridicules et le ton sont d'origine.

Monsieur,

je n'ai pas l'heur de vous connaître personnellement mais mon patronyme vous renseigne sans doute suffisamment. Vous m'avez offensé en séduisant et embrassant celle auprès de qui vous aviez passé, avec mon consentement, des vacances en Italie. Je vous écris pour vous provoquer en duel, veuillez considérer ce mail comme le coup de gant que j'aurais du vous asséner, en m'excusant pour ce manquement à l'élégance (qui ne vous choquera sans doute pas néanmoins). Étant l'offensé, je devrais disposer du choix des armes, mais je suis prêt à vous le laisser. L'arme à feu me paraît déconseillée car je ne suis pas un inconscient, et que vous ne l'êtes sans doute pas non plus (quoique ce type d'armes serait davantage envisageable s'il était possible de se procurer les pistolets qu'utilisaient les gentilshommes du XVIIIe siècle, voyez par exemple le film Ridicule. Je dispose chez moi d'un fleuret mais l'arme est à la fois trop inoffensive et potentiellement létale. Dans ces conditions, je préconise la boxe anglaise. Vous êtes libre de proposer autre chose, en évitant des expédients qui, quoique divertissant, nous déshonoreraient tous deux (ping-pong, monopoly, scrabble etc.).

En ces temps où tout s'achète, où les marchands tiennent le haut du pavé et interdisent la violence aux êtres qui acceptent de croupir dans le mépris des puissants, ma demande risque de vous sembler incongrue. Je tiens donc à en préciser les modalités, qui suivront, autant que possible, les canons chevaleresques. Vous pouvez vous documentez. Je vous conseille, en plus du film susnommé, le très bon Mon oncle benjamin ainsi qu'une quelconque version des Trois mousquetaires (que, si vous savez lire autre chose que le jargon anglicisant des commerciaux, vous pouvez même consulter en livre, première partie "l'arrivée à Paris").

Un duel comprend un certain nombre de règles sur lesquels il convient de s'accorder. Techniquement, je vous convie à un "duel d'honneur". Il ne s'agit pas pour moi de ruer dans les brancards, de vous "casser la gueule" en petit-bourgeois mal élevé. Je ne suis pas non plus en train de vous proposer un moyen de choisir qui de nous deux "mérite" celle que vous m'avez prise, elle est actuellement avec vous et je ne cherche qu'à conserver mon honneur.

Vous n’avez plus qu’à vous choisir deux témoins, j’ai déjà les miens. Pour ce qui est du lieu, je suggère soit le parc de l’enfant Jésus à Douai, soit le petit coin en bord de Deûle, entre Lille et Lambersart (près du domicile de votre nouvelle petite amie), entre deux monticules pyramidaux de terre, couverts d’herbe et parfois de fleurs.

Je vous invite à me répondre, ou tout au moins à me donner un accusé de réception si vous ne souhaitez pas me voir me changer en redoutable "spammeur" qui vous enverrait inlassablement la même chose. Sachez, pour finir cette missive, que si vous refusez ce que je vous propose vous n'entendrez plus parler de moi, je ne chercherai pas à vous voir et vous considérerai comme déshonoré. Sachez que l'honneur s'éprouve, Monsieur, et qu'une fois perdu, il est bien difficile de le recouvrer.

Salutations,
Jérémie Sercy