A dix-huit ans, je tombais amoureux d'une jeune fille, avec qui je formais un couple pendant deux ans et demi, avant qu'elle ne me quitte pour un autre. Dans mes vieux papiers, j'ai retrouvé ce brouillon de message datant de mes vingt-et-un ans, que je comptais envoyer à mon rival, avant de me dégonfler, et que j'ai eu envie de recopier ici... Les maladresses, les références ridicules et le ton sont d'origine.
Monsieur,
je n'ai pas l'heur de vous connaître personnellement mais mon patronyme vous renseigne sans doute suffisamment. Vous m'avez offensé en séduisant et embrassant celle auprès de qui vous aviez passé, avec mon consentement, des vacances en Italie. Je vous écris pour vous provoquer en duel, veuillez considérer ce mail comme le coup de gant que j'aurais du vous asséner, en m'excusant pour ce manquement à l'élégance (qui ne vous choquera sans doute pas néanmoins). Étant l'offensé, je devrais disposer du choix des armes, mais je suis prêt à vous le laisser. L'arme à feu me paraît déconseillée car je ne suis pas un inconscient, et que vous ne l'êtes sans doute pas non plus (quoique ce type d'armes serait davantage envisageable s'il était possible de se procurer les pistolets qu'utilisaient les gentilshommes du XVIIIe siècle, voyez par exemple le film Ridicule. Je dispose chez moi d'un fleuret mais l'arme est à la fois trop inoffensive et potentiellement létale. Dans ces conditions, je préconise la boxe anglaise. Vous êtes libre de proposer autre chose, en évitant des expédients qui, quoique divertissant, nous déshonoreraient tous deux (ping-pong, monopoly, scrabble etc.).
En ces temps où tout s'achète, où les marchands tiennent le haut du pavé et interdisent la violence aux êtres qui acceptent de croupir dans le mépris des puissants, ma demande risque de vous sembler incongrue. Je tiens donc à en préciser les modalités, qui suivront, autant que possible, les canons chevaleresques. Vous pouvez vous documentez. Je vous conseille, en plus du film susnommé, le très bon Mon oncle benjamin ainsi qu'une quelconque version des Trois mousquetaires (que, si vous savez lire autre chose que le jargon anglicisant des commerciaux, vous pouvez même consulter en livre, première partie "l'arrivée à Paris").
Un duel comprend un certain nombre de règles sur lesquels il convient de s'accorder. Techniquement, je vous convie à un "duel d'honneur". Il ne s'agit pas pour moi de ruer dans les brancards, de vous "casser la gueule" en petit-bourgeois mal élevé. Je ne suis pas non plus en train de vous proposer un moyen de choisir qui de nous deux "mérite" celle que vous m'avez prise, elle est actuellement avec vous et je ne cherche qu'à conserver mon honneur.
Vous n’avez plus qu’à vous choisir deux témoins, j’ai déjà les miens. Pour ce qui est du lieu, je suggère soit le parc de l’enfant Jésus à Douai, soit le petit coin en bord de Deûle, entre Lille et Lambersart (près du domicile de votre nouvelle petite amie), entre deux monticules pyramidaux de terre, couverts d’herbe et parfois de fleurs.
Je vous invite à me répondre, ou tout au moins à me donner un accusé de réception si vous ne souhaitez pas me voir me changer en redoutable "spammeur" qui vous enverrait inlassablement la même chose. Sachez, pour finir cette missive, que si vous refusez ce que je vous propose vous n'entendrez plus parler de moi, je ne chercherai pas à vous voir et vous considérerai comme déshonoré. Sachez que l'honneur s'éprouve, Monsieur, et qu'une fois perdu, il est bien difficile de le recouvrer.
Salutations,
Jérémie Sercy