lundi 28 avril 2014

Paulette Parmentier, par Pierre Marie Déniel

    Je préfèrerais dire que j’ai fait un simple détour ; en réalité, il se pourrait bien que je me sois rendu dans ce coin-là exprès. Je me suis engagé péniblement sur le chemin, ma voiture s’embourbant presque dans la neige. J’avais mal au crâne à cause du whisky de la veille, mais cela n’était plus tellement important. Dès qu’il fut possible d’apercevoir la maison, je me suis garé sur le bas-côté. J’ai écrasé mon mégot et me suis regardé dans le rétroviseur, passant la main dans mes cheveux, puis j’ai remis mon chapeau de feutre. J’ai claqué la portière et j’ai rallumé une autre cigarette. La neige rentrait dans mes chaussures et trempait mon pantalon bien au-dessus des chevilles. J’ai marché difficilement jusqu’à la maison en espérant que l’adresse que j’avais trouvé était la bonne. Les fêtes de noël approchaient, elle devait donc être là pour passer quelques jours en famille. J’ai remonté la petite allée d’ardoises, manquant de glisser à cause de la neige fondue et de ma démarche rendue mal assurée par l’appréhension. J’ai sonné. Plus jeune, j’avais écrit des histoires. Des histoires s’inspirant de ma vie, enfin, surtout des prolongements imaginaires de cette vie. Des prolongements qui revisitaient toujours l’avenir d’un œil romanesque. J’ai sonné de nouveau. Il était bientôt seize heures. La vie réelle avait fait peu battre mon cœur ces dernières années, aussi, je tentais de vivre les situations que j’avais fantasmé par écrit. Cette visite, je l’avais tant imaginé, et plutôt joliment décrite dans un petit récit, et voilà que poussé par la lassitude et la sécheresse de mon quotidien, je tentais de la rendre réelle. Personne n’ouvrirait, et tout cela ne resterait qu’une simple histoire sans grand intérêt.
    J’allais m’en rallumer une quand j’entendis des pas dans le vestibule. Une femme de soixante ans peut-être poussa la grosse porte, et me dit un bonjour qui ressemblait à une question.
    « Je suis bien chez les Parmentier ? 
    – Oui… vous désirez ? » me demanda-t-elle gentiment. Je devais inspirer peu de méfiance, malgré mon chapeau, mon grand manteau noir, et mon visage triste et mal rasé.
    « Je passais dans les environs. Par hasard. J’aurais voulu… si elle est là, si elle habite toujours ici… saluer Paulette. 
    – Vous avez bien de la chance, elle est là pour quelques jours. Vous êtes un ami ? Un ancien camarade de classe ? 
    – Vous lui direz que je suis Pierre Marie Déniel et que je l’ai bien connu, autrefois, il y a quelques années. Elle se rappellera… sûrement… peut-être.... »
    J’attendais encore, le cœur battant.
    Elle eu l’air surprise, évidemment.
    « Pierre ?! 
    – Paulette ! »
    Elle resta, quelques instants, figée sur le perron. Puis me demanda comment j’allais.
    « Ca va… on fait aller… »
    Son visage avait peu changé, les traits avaient un peu durci, je crois, et son regard était plus sec, peut-être simplement parce qu’elle ne me regardait plus comme j’avais l’habitude qu’elle me regarde à l’époque où l’on se connaissait.
    Elle m’a parlé de choses et d’autres, assez banales, et j’ai répondu des banalités aussi. La vie avait suivi son cours, et nous devisions là-dessus, pour la convenance, le véritable enjeu, du moins pour moi, était ailleurs évidemment. C’est étrange comme les moments que l’on croit émouvant sont, en apparence, si triviaux. On parle d’éventuels diplômes obtenus, ou d’emploi occupé, sans dire, par pudeur peut-être, ou parce que c’est bien ce qu’il y a de plus complexe à exprimer avec justesse, comment, tout ce temps-là, notre cœur a battu, pour qui, et pour quoi.
    Bien qu’en étant devenue une, par la force des choses, cela ne m’amusait pas de jouer les grandes personnes, aussi j’essayais de faire dévier la conversation.
    J’ai dit : « Ca me fait bizarre de te revoir… ça fait combien de temps ? Trois ans… presque trois ans… 
    – Oui, c’est ça, trois ans… oui, c’est curieux, mais tout à bien changé. On a évolué, chacun de notre côté, on a avancé… »
    Je n’avais pas vraiment évolué.
    J’ai répondu : « Oui. Avec le temps, les choses s’arrangent… on ne les considère plus de la même façon… avec le temps… on se dit que c‘est mieux, mieux comme ça… »
    Je l’ai regardé, encore. Et j’ai senti une boule dans mes tripes, mon trouble revenait, le même qu’au temps où l’on se fréquentait. J’aurais voulu dire que, oui, j’avais voyagé, que j’avais cru oublier, mais, qu’au fond, je n’avais pas cessé de penser à elle, malgré les mers qui m‘avaient tenu loin de mes habitudes, malgré les saisons qui passent et les années qui s’enfuient. Mais je n’ai pas parlé. Cela ne signifiait plus rien à présent. La personne que j’avais aimé n’existait plus, j’avais devant moi un visage qui me rappelait les douleurs du passé, des douleurs dont je n’avais pas guéri. Le chagrin était resté, la rancœur aussi peut-être, mais l’amour avait disparu. J’avais aimé un souvenir. Il neigeait, la même neige qu’il y a trois hivers, et elle avait moins changé que moi. L’alcool et les errances diverses m’avaient fait vieillir prématurément. Elle avait peu changé, mais ce face à face étrange ne mettait en évidence que ce que le passage du temps avait détruit de notre relation. Cette relation n’était plus évidemment, mais, surtout, la peine, le manque et l’absence n’avaient, eux non plus, plus lieu d’exister. Il n’y avait plus rien, juste une douleur dans l’estomac, anachronique, sans autre fondement que le souvenir que son visage et la neige faisaient ressurgir.
    Elle voulait prendre congé de moi, car on n’avait surement plus rien à dire. On peut rarement parler pour ces choses-là, on ne peut qu’éprouver des sensations qu’on ne comprend pas. Je ne pouvait pas parler, je ne pouvais plus meubler une conversation dont je me fichais. Je n’ai pu m’empêcher de conclure : « Ce qui nous empêchait de dormir la nuit, de manger, ce qui nous tourmentait ou nous rendait fou de joie autrefois, n’a plus d’importance aujourd’hui. On s’en fiche, on en rit, ou pire, on ne s’en souvient même plus, et c’est ça qui est terrible. » Elle m’a dit de ne pas prendre froid, par ce temps.
    « Bien. J’y vais. J’ai a faire. »
    Je n’avais rien à faire, je ne faisais rien.
    J’ai redescendu l’allée en ardoise, tout aussi maladroitement. Je n’avais pas la force d’allumer une autre cigarette. Paulette Parmentier… pfff… quel nom stupide… elle aurait pu porter un nom normal, dans le même genre, mais moins ridicule. Pauline au lieu de Paulette, par exemple… ça aurait eu un peu plus d’allure… Le jour déclinait déjà, et la neige s’était remise à tomber salement. Je me suis assis au volant de ma voiture, épuisé. J’avais voulu me divertir, tromper l’ennui, et maintenant, une larme coulait sur ma joue. Ça devait être le froid qui me piquait les yeux. Oui, ça devait être ça. Mes yeux pleuraient à chaque fois que la neige revenait.

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