lundi 2 mai 2016

Dialogue entre Platon et Mallarmé (Les Limbes, le neuf septembre 1898)


  • Monsieur.
  • Monsieur.
  • Nous n'avons pas été présentés, puis-je connaître votre nom ?
  • Bien sûr, Stéphane Mallarmé, le vôtre je vous prie ?
  • Platon.
  • Ah, mais bien entendu ! J'ai lu certains de vos dialogues... La question de l'Un dans votre Parménide, ce concept aboli d'inanité existentielle, est tout-à-fait fascinante.
  • Je vous remercie, mais je suis confus – pardonnez-moi, mais j'ai pour coutume de dire la vérité – il me semble que je n'ai jamais entendu parler de vous, comment cela se fait-il ?
  • Oh, je viens d'arriver, et nous avons quelques années d'écart, je suis plus jeune que vous, et je sais que vous avez tendance à vous intéresser davantage à vos aînés.
  • Oui, c'est juste, ces anciens sages qui étaient plus proches de la vérité que nous m'ont toujours fasciné... Mais je vous rassure, je n'ai pas oublié de m'intéresser aux plus jeunes. L'un de mes élèves, qui se promène dans le coin (vous le reconnaîtrez facilement, il regarde toujours par terre), le plus doué, avait produit des choses intéressantes, bien que je les crois fausses en grande partie.
  • Comme je vous comprends... J'ai moi-même pris un petit sous mon aile, il n'ira pas aussi loin que moi, c'est certain, mais je crois qu'il fera des choses variées de valeur.
  • Mais quel est ce vacarme que nous entendons à présent ?
  • Ca ? Oh, c'est encore Saladin qui trucide Sohrawardi, c'est comme ça tous les jours... Ce dernier, le pauvre, ne cesse de périr et de revenir, Sisyphe musulman. Mais que faites-vous donc exactement dans la vie ?
  • Moi ? Oh, j'écris des petites choses, des poèmes...
  • Oh ! Vous avez de la chance qu'en un peu plus de deux millénaires je sois devenu plus tolérant, je vous aurais sinon chassé incontinent. J'ai peur de m'être ramolli, mais je vais même essayer de m'intéresser à votre cas : pourriez-vous me parler de l'un de vos poèmes ?
  • Oui, bien sûr, mais lequel ?
  • Je ne sais pas, le plus connu mettons.
  • Hum, je pourrais vous parler de mon « sonnet en yx »...
  • De quoi s'agit-il ?
  • D'un poème fait de rien...
  • Ah... Je suis déçu que vous ne soyez qu'un vulgaire plagiaire, en somme. Je veux bien croire que vous n'ayez pas lu le grand petit œuvre de mon ami Lao-Tseu, mais vous ne pouvez ignorer le poème de Guillaume d'Aquitaine...
  • Votre silence en dit long. « Je ferai un poème de pur rien », vous n'avez rien inventé ! Je ne dis pas qu'il faille inventer puisque l'archétype de votre poème et de celui de Guillaume d'Aquitaine nous dépasse tous deux de beaucoup, mais enfin je n'aime pas ces procédés.
  • Permettez, permettez ! Au niveau de la forme ce que je produit est très particulier !
  • Ce ne sont pas ces formes-là qui m'intéressent ! Je ne vous salue pas, vil faquin !
  • Merde !
  • Sycophante !
    ETC.

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