« Qui verrait nos lettres... il lui semblerait tantôt que nous sommes gens graves entièrement voués aux grandes choses, que nos coeurs ne peuvent concevoir nulle pensée qui ne fût d'honneur et de grandeur. Mais ensuite, tournant la page, ces mêmes gens lui apparaîtraient légers, inconstants, putassiers, entièrement voués aux vanités. Et si quelqu'un juge indigne cette manière d'être, moi je la trouve louable, car nous imitons la nature, qui est changeante.» Machiavel, cité par Guy Debord
lundi 2 juin 2014
Deux sortes d'hommes
Deux sortes d'hommes (parmi la multitude des catégorisations imaginables) : ceux qui ne pourraient concevoir de pire supplice que de se voir en permanence infliger leur reflet ; ceux qui se délecteraient d'avoir toujours un miroir à la main. (Ceci dit sans préjuger de la beauté des uns ou des autres).
dimanche 18 mai 2014
Incipit d'En terre inconnue
A force de vivre on ne démêle plus qu’à grand peine l’écheveau de sa propre trivialité. On s’y habitue, plus ou moins résigné. Certains vous causent religion, d’autres de leur consommation d'alcool. Un chapitre de Céline, une cigarette, un bout de chemin, une chanson de Brassens, un plat de pâtes, une bière, quelques notes de Beethoven, un café avec X, un aphorisme de Nietzsche, des échanges de politesse, quelque démarche administrative, une partie d’échecs, peut-être un peu de courses à pied, pour l’hygiène. Et puis, après ?
On a beau savoir, anticiper, ne pas être plus naïf qu’un autre, on n’en est jamais pour autant à l’abri des surprises les plus banales. Et au réveil c’est toute la vanité du monde qui s'étale partout où porte le regard.
Oh, je sais bien que c’est particulier. Tout le monde n’est pas parti promener sa solitude sous d’autres climats. D’autres doivent trimer. Beaucoup, enfin, donnent l’impression que leur existence se déroule sous les plus palpitantes hospices.
« Enivrez-vous » ? Trop fatiguant. « Aimez-vous les uns les autres » ? Salissant. « Carpe diem » ? Quel cliché... Que reste-t-il ? La conviction d’être plus malin qu’un autre, que partagent à part égal imbéciles et génies.
Trop lâche pour partir à la guerre ou pour faire la révolution. Seul demeure le retour éternel des mêmes jours. Les mêmes pensées. Les mêmes regrets. Les mêmes ambitions mesquines et les mêmes rancœurs puantes. Et puis, dans la langueur d’un jour gris, on se surprend à réécrire l’Ecclésiaste.
En arrivant dans ma nouvelle chambre je m’écroulais consciencieusement sur mon lit en regardant les niaiseries à ma portée, pour faire passer le temps.
Et il passait bien, pas contrariant, le temps. Au bout d’un moment je me remis à lire de la philosophie, histoire de relever un peu le niveau de mes distractions et de redorer mon orgueil. Parfois, la vanité du monde disparaissait derrière la complexité des questions que feignait de suivre ma cervelle. On se dit qu’on est pas si mal loti quand on peut invoquer à volonté les méditations les plus profondes de ceux qui nous ont précédés. Et puis tout retombe, je me retrouvais la tête et les mains vides, sans le courage nécessaire pour poursuivre mes idoles d’intellectuel.
Mais, notez le bien, je ne me plains pas. Je ne fais que parler. Je ne suis même pas accablé par la mélancolie. Un peu las et puis voilà tout. Là encore, penché sur mon clavier, j’exécute ma seule et unique besogne : m’occuper. Tout à l’heure, le cours de mon existence continuera, aussi plat et répétitif que celui de tant d’autres.
On a beau savoir, anticiper, ne pas être plus naïf qu’un autre, on n’en est jamais pour autant à l’abri des surprises les plus banales. Et au réveil c’est toute la vanité du monde qui s'étale partout où porte le regard.
Oh, je sais bien que c’est particulier. Tout le monde n’est pas parti promener sa solitude sous d’autres climats. D’autres doivent trimer. Beaucoup, enfin, donnent l’impression que leur existence se déroule sous les plus palpitantes hospices.
« Enivrez-vous » ? Trop fatiguant. « Aimez-vous les uns les autres » ? Salissant. « Carpe diem » ? Quel cliché... Que reste-t-il ? La conviction d’être plus malin qu’un autre, que partagent à part égal imbéciles et génies.
Trop lâche pour partir à la guerre ou pour faire la révolution. Seul demeure le retour éternel des mêmes jours. Les mêmes pensées. Les mêmes regrets. Les mêmes ambitions mesquines et les mêmes rancœurs puantes. Et puis, dans la langueur d’un jour gris, on se surprend à réécrire l’Ecclésiaste.
En arrivant dans ma nouvelle chambre je m’écroulais consciencieusement sur mon lit en regardant les niaiseries à ma portée, pour faire passer le temps.
Et il passait bien, pas contrariant, le temps. Au bout d’un moment je me remis à lire de la philosophie, histoire de relever un peu le niveau de mes distractions et de redorer mon orgueil. Parfois, la vanité du monde disparaissait derrière la complexité des questions que feignait de suivre ma cervelle. On se dit qu’on est pas si mal loti quand on peut invoquer à volonté les méditations les plus profondes de ceux qui nous ont précédés. Et puis tout retombe, je me retrouvais la tête et les mains vides, sans le courage nécessaire pour poursuivre mes idoles d’intellectuel.
Mais, notez le bien, je ne me plains pas. Je ne fais que parler. Je ne suis même pas accablé par la mélancolie. Un peu las et puis voilà tout. Là encore, penché sur mon clavier, j’exécute ma seule et unique besogne : m’occuper. Tout à l’heure, le cours de mon existence continuera, aussi plat et répétitif que celui de tant d’autres.
mardi 13 mai 2014
Le sens de l'amitié
Lorsque j'ai appris, en préparant un exposé scolaire, que Léon Blum et Barrès, collègues à la Revue Blanche, avaient été amis malgré leurs divergences d'opinion, j'ai d'abord été perplexe. Je me voyais à l'époque en valeureux gauchiste, et ne pouvais concevoir de véritable amitié avec ceux de l'autre camp. Puis j'ai cru comprendre. J'ai cru comprendre qu'on peut être amis, et se retrouver un jour, à la faveur d'une révolution ou d'une guerre civile, de part et d'autres de la ligne de front. Tirera-t-on ? Peut-être, si l'on tient à faire passer ses convictions avant toute autre chose. D'un autre côté, "Ami de la vérité, mais avant tout ami de Socrate", pour citer un fameux détournement que je crois être de Cicéron. Alors quoi ? Alors on verra bien, on tirera sur le voisin, on fera des trêves durant lesquels on essaira de transformer son ami en transfuge, en agent double, en traître à sa cause qui seule nous est ennemie. Tout est envisageable. Mais n'oubliez pas que, si un jour, moi, qui me sens chaque jour un peu moins politisé, j'en arrive à devoir vous livrer bataille dans quelque guerre de l'avenir (Dieu m'en préserve), je ne cesserai pourtant de vous considérer en ami, et attendrai avec impatience de vous rejoindre dans l'autre monde.
lundi 12 mai 2014
Deux fois deux principes
Lo hecho esta hecho, que sera sera.
Ou dans la langue de Socrate et du Christ :
Ne pas tenir à ses opinions ; que ta parole soit oui oui, non non, le reste vient du péché.
Ou dans la langue de Socrate et du Christ :
Ne pas tenir à ses opinions ; que ta parole soit oui oui, non non, le reste vient du péché.
dimanche 11 mai 2014
vendredi 9 mai 2014
Nixe
Des très jolies femmes qui passent, de ces passantes, infiniment désirables, aucune ne soutient la comparaison avec l'ombre d'Hélène. De Troie, d'où son nom est tiré, elle a la naïveté face aux chevaux de bois, l'ardeur dans la défaite, la cruauté dans le combat, et l'implacable indifférences des créatures souveraines dont l'origine, inconnue, semble une filiation mystérieuse.
Pour les danses d'Hélène, pour le miel de sa voix, pour ses courbes de laine, j'aurais trois fois renié ma foi.
Les verres coulent avant d'être remplacés, la fumée me peint une auréole, et le charme joue des inconnues, mais elle continue de jouer avec mon cœur, le maniant sans ménagement, y mord et le recrache avec dégoût.
Hélas.
Jusqu'où te mentirai-je pour que quelque chose, enfin, me soit donné ?
Pour les danses d'Hélène, pour le miel de sa voix, pour ses courbes de laine, j'aurais trois fois renié ma foi.
Les verres coulent avant d'être remplacés, la fumée me peint une auréole, et le charme joue des inconnues, mais elle continue de jouer avec mon cœur, le maniant sans ménagement, y mord et le recrache avec dégoût.
Hélas.
Jusqu'où te mentirai-je pour que quelque chose, enfin, me soit donné ?
mercredi 7 mai 2014
Les deux intelligences
Je pense depuis longtemps, pensée sans doute banale, qu'il existe deux formes que peut prendre l'intelligence, la première que j'appellerais intelligence créatrice, la seconde intelligence critique. Quelque chose de similaire se trouve chez Bergson :
Le plus grand tort de ceux qui croiraient rabaisser l'homme en rattachant à la sensibilité les plus hautes facultés de l'esprit est de ne pas voir où est précisément la différence entre l'intelligence qui comprend, discute, accepte ou rejette, s'en tient enfin à la critique, et celle qui invente.
Création signifie, avant tout, émotion. [...] Quiconque s'exerce à la composition littéraire a pu constater la différence entre l'intelligence laissée à elle-même et celle que consume de son feu l'émotion originale et unique, née d'une coïncidence entre l'auteur et son sujet, c'est-à-dire d'une intuition. Dans le premier cas l'esprit travaille à froid, combinant entre elles des idées, depuis longtemps coulées en mots, que la société lui livre à l'état solide. Dans le second il semble que les matériaux fournis par l'intelligence entrent préalablement en fusion [...].
Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, chapitre premier pp. 42-43
Ce qui m'intéressait surtout, lors de mes investigations intimes, c'était de constater que mon intelligence prenait l'une ou l'autre de ces formes selon telle ou telle circonstance. Constat qui ne préjuge d'ailleurs en rien de la qualité de cette intelligence : c'est notre intelligence critique qui juge ce qu'a produit notre intelligence créatrice ; si la première est aussi faible que la seconde, elle ne trouvera rien à redire à ses médiocres productions. D'ailleurs j'ignore si l'on doit parler de deux intelligences bien distinctes, ou si ce sont deux versants d'une même intelligence. On peut imaginer, évidemment, un génie dont l'intelligence créatrice serait aussi grande que serait faible son intelligence critique, ce qui suffirait cependant à lui faire produire de grandes œuvres, et inversement un homme doué d'une intelligence critique extrêmement performante, mais incapable de rien produire de valable, d'original.
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