Lorsque j'ai appris, en préparant un exposé scolaire, que Léon Blum et Barrès, collègues à la Revue Blanche, avaient été amis malgré leurs divergences d'opinion, j'ai d'abord été perplexe. Je me voyais à l'époque en valeureux gauchiste, et ne pouvais concevoir de véritable amitié avec ceux de l'autre camp. Puis j'ai cru comprendre. J'ai cru comprendre qu'on peut être amis, et se retrouver un jour, à la faveur d'une révolution ou d'une guerre civile, de part et d'autres de la ligne de front. Tirera-t-on ? Peut-être, si l'on tient à faire passer ses convictions avant toute autre chose. D'un autre côté, "Ami de la vérité, mais avant tout ami de Socrate", pour citer un fameux détournement que je crois être de Cicéron. Alors quoi ? Alors on verra bien, on tirera sur le voisin, on fera des trêves durant lesquels on essaira de transformer son ami en transfuge, en agent double, en traître à sa cause qui seule nous est ennemie. Tout est envisageable. Mais n'oubliez pas que, si un jour, moi, qui me sens chaque jour un peu moins politisé, j'en arrive à devoir vous livrer bataille dans quelque guerre de l'avenir (Dieu m'en préserve), je ne cesserai pourtant de vous considérer en ami, et attendrai avec impatience de vous rejoindre dans l'autre monde.
« Qui verrait nos lettres... il lui semblerait tantôt que nous sommes gens graves entièrement voués aux grandes choses, que nos coeurs ne peuvent concevoir nulle pensée qui ne fût d'honneur et de grandeur. Mais ensuite, tournant la page, ces mêmes gens lui apparaîtraient légers, inconstants, putassiers, entièrement voués aux vanités. Et si quelqu'un juge indigne cette manière d'être, moi je la trouve louable, car nous imitons la nature, qui est changeante.» Machiavel, cité par Guy Debord
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Aucun anonyme ne sera plus publié directement en commentaire.