dimanche 18 mai 2014

Incipit d'En terre inconnue

    A force de vivre on ne démêle plus qu’à grand peine l’écheveau de sa propre trivialité. On s’y habitue, plus ou moins résigné. Certains vous causent religion, d’autres de leur consommation d'alcool. Un chapitre de Céline, une cigarette, un bout de chemin, une chanson de Brassens, un plat de pâtes, une bière, quelques notes de Beethoven, un café avec X, un aphorisme de Nietzsche, des échanges de politesse, quelque démarche administrative, une partie d’échecs, peut-être un peu de courses à pied, pour l’hygiène. Et puis, après ?
    On a beau savoir, anticiper, ne pas être plus naïf qu’un autre, on n’en est jamais pour autant à l’abri des surprises les plus banales. Et au réveil c’est toute la vanité du monde qui s'étale partout où porte le regard.
    Oh, je sais bien que c’est particulier. Tout le monde n’est pas parti promener sa solitude sous d’autres climats. D’autres doivent trimer. Beaucoup, enfin, donnent l’impression que leur existence se déroule sous les plus palpitantes hospices.
    « Enivrez-vous » ? Trop fatiguant. « Aimez-vous les uns les autres » ? Salissant. « Carpe diem » ? Quel cliché... Que reste-t-il ? La conviction d’être plus malin qu’un autre, que partagent à part égal imbéciles et génies.
    Trop lâche pour partir à la guerre ou pour faire la révolution. Seul demeure le retour éternel des mêmes jours. Les mêmes pensées. Les mêmes regrets. Les mêmes ambitions mesquines et les mêmes rancœurs puantes. Et puis, dans la langueur d’un jour gris, on se surprend à réécrire l’Ecclésiaste.

    En arrivant dans ma nouvelle chambre je m’écroulais consciencieusement sur mon lit en regardant les niaiseries à ma portée, pour faire passer le temps.
    Et il passait bien, pas contrariant, le temps. Au bout d’un moment je me remis à lire de la philosophie, histoire de relever un peu le niveau de mes distractions et de redorer mon orgueil. Parfois, la vanité du monde disparaissait derrière la complexité des questions que feignait de suivre ma cervelle. On se dit qu’on est pas si mal loti quand on peut invoquer à volonté les méditations les plus profondes de ceux qui nous ont précédés. Et puis tout retombe, je me retrouvais la tête et les mains vides, sans le courage nécessaire pour poursuivre mes idoles d’intellectuel.
   
    Mais, notez le bien, je ne me plains pas. Je ne fais que parler. Je ne suis même pas accablé par la mélancolie. Un peu las et puis voilà tout. Là encore, penché sur mon clavier, j’exécute ma seule et unique besogne : m’occuper. Tout à l’heure, le cours de mon existence continuera, aussi plat et répétitif que celui de tant d’autres.


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